DEBALAGE DE SAC

Publié le par Loupiote

Il y a quelque jour, Thom a posté une chronique posant la question du « pourquoi créer un blog ? ». J’ai lu les premières lignes, puis j’ai interrompu ma lecture. Pas le courage. Journée de merde, non, pas maintenant. Le week-end se passe mais le malaise reste. Hier soir, je termine ma lecture, poste un commentaire à la con et vais me coucher.

 

En cherchant le sommeil, j’y repense. La question je me la suis déjà posée, bien sûr. Jusque là, je n’avais que des réponses toutes faites, je veux partager sur ma « passion » qu’est le lecture, je ne cherche pas la gloire. Tout ça est vrai mais il y a autre chose. De plus profond. Ce matin, je lis le blog de Chimère qui répond à la question posée par Thom. Et là, je fais les liens. Je remets les choses dans leur contexte et je commence à y voir plus clair.

 

Je suis éducatrice spécialisée, je l’ai déjà mentionné. Je travaille dans un établissement spécialisé qui accueille des enfants et des adolescents souffrants de troubles du comportement. Educ, c’est un métier difficile. On parle du taux élevé de dépressions et de suicides chez les flics et les profs. Je crois que dans les statistiques, on les talonne. Pas mal d’alcoolisme aussi. Sauf que nous, peu de gens nous connaissent. On travaille avec ceux que la société refuse de voir, les recalés, les paumés, les tarés, les pas assez, les trop, les handicapés de la tête, de la vie, les écorchés. Et on encaisse, on encaisse, on encaisse.

 

Quand je dis aux gens ce que je fais dans la vie on me demande « spécialisée en quoi ? ». En quoi, en qui ? « C’est pour travailler avec les bougnoules dans les banlieues ? » « Tu bosses avec des mongoles, c’est ça ? ». Au mieux ai-je droit à des mines faussement admiratives accompagnées de la réflexion « je t’admire, moi je ne pourrais pas ». Et on change de sujet. On parle d’autre chose, vite, vite. J’ai appris à ne pas trop m’étendre sur le sujet pour ne pas importuner les gens. « Tu as passé une bonne journée ? Oui, pas mal. » Qu’est-ce que c’est qu’un bonne journée dans mon boulot ? Une journée où je n’ai pas eu à intervenir plus d’une ou deux fois pour contenir physiquement des gamins en crises ? Ben oui, c’est ça mes bonnes journées.

 

Vendredi, nous avons du faire venir SOS médecin parce que’un gamin que nous appellerons Samy, a littéralement craqué. Crise de nerf, impossible de le calmer. Piqûre de valium. Samy rentrera chez lui shooté. Il faut gérer l’angoisse des autres mômes. La scène était impressionnante. Même pour nous les adulte, les professionnels. Nous savions qu’il craquerait. Nous l’attendions. Nous l’espérions même. Car Samy en a des choses à sortir. Son père est en prison pour tentative de meurtre sur la personne de la mère de Samy et actes de barbarismes et tortures sur ses enfants. Sa mère a suivie quelques années après que le grand frère de Samy (que nous appellerons Blaise) ait dénoncé les viols qu’elle lui faisait subir. Les flics ont retrouvé des films fait au caméscope numérique. Samy a subit des attouchements lui aussi, nous en sommes presque surs. C’est même ce qui a poussé Blaise à dénoncer sa mère. Le deux gamins sont pris an charge par l’établissement où je bosse et placé en famille d’acueil. Samy est sur mon groupe. Blaise va bien, il évolue à tous les niveaux. Il est même question qu’il réintègre un établissement scolaire ordinaire. Samy est plus renfermé, ce qui nous inquiète. Il est atteint d’une forme sévère d’eczéma. Les plaques rouges apparaissent en live dés qu’il a une émotion vive. Il s’exprime comme ça. Son corps parle pour lui. Au mois de juin, Blaise a sauté du toit de sa maison (celle de sa famille d’accueil). Il est mort quelque jour plus tard. En juillet a eu lieu le procès de sa mère. Il devait témoigner. Samy n’a rien exprimé jusqu’à ce Vendredi.

 

Bien sur, une cellule psychologique a été mise en place. Pour les enfants. Pour nous aussi. Mais en Août l’établissement ferme. Et on s’est tous retrouvé seul avec nos pensées, nos angoisses et nos questions. La veille de son suicide Blaise parlait musique avec un de mes collègues. Il disait aimer Thiéffaine. Sa chanson préférée, c’est Alligator 427. Je m’incruste dans la conversation en disant que moi aussi j’aime beaucoup cette chanson. Blaise nous dit d’écouter les paroles, « elles tuent sa mère, je kiffe trop ». Pas la peine, on les connaît les paroles. « Et moi je dis bravo et vive la mort ». Message ? Appel à l’aide ? La conversation avait l’air anodine. Cet été j’ai tourné en rond. Difficile d’en parler à mon entourage. Personne ne comprend à quel point ça m’a bouleversé. Ni à quel point ça me bouleverse encore. Combien de suicide encore, de crachats, d’insultes, de menace au couteau, de type trouvé dans les  chiottes s’étant tailladé le corps au cutter, de signalement pour enfant en danger à écrire, de mère psychotique accouchant seule et cachant leur nouveau né dans un sac de sport avant que je ne craque moi aussi ?

 

Evidement, tout n’est pas aussi spectaculaire. Mais la souffrance, il faut la gérer au quotidien. Celle des gosses, celle de leurs parents, celle des collègues, la notre. Parce que, quoiqu’on en dise, tout cela raisonne en nous, nous touche. Je me souviens d’une fois où j’attendais le bus. Une maman est arrivée avec sa petite fille autiste qui gémissait, bavait, se balançait. Il y avait du monde a l’arrêt du bus. En moins d’une minute, les gens s’étaient barrés. Je me suis assise a coté de la fillette et de sa mère pour attendre le bus. La maman m’a sourit tristement  et m’a dit « merci ». Merci de quoi ? De ne pas considérer sa fille comme un monstre ? « Une chose écoeurante qu’elle aurait mieux fait d’évacuer dans les chiottes plutôt que de mettre au monde ». On le lui a vraiment dit, ça.

 

Oh, c’est sur, si c’est trop dur je peux changer de métier. Mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Pour l’instant je tiens. Il n’empêche que cet été, j’ai pensé à ces éducs en arrêt maladie pour dépression ou alcoolisme, aux aigries qui font leur boulot comme s’il s’agissait d’une routine, à ces éducs épuisés qui passent leur temps à râler contre si ou contre ça et à se sentir victimes dés qu’on interroge  un temps soit peu leur travail. Je ne veux pas finir comme eux. Et pour ça il faut que je trouve un exutoire, quelque chose qui me permette de me vider la tête quand je sors du boulot. Une soupape, un garde fou. Une transition entre le boulot, et ma vie privée, celle avec mon homme, mes amis, ma famille. Un espace rien qu’à moi où je fais ce qu’il me plait, où je parle de ce qu’il ma plait. Un décompresseur. Mon temps virtuel pour digérer des choses « de la vraie vie » et pouvoir accueillir Mr Loupiote et lui répondre « oui » quand il me demande si j’ai passé une bonne journée. Un jour peut-être que ce ne sera plus nécessaire. Ou plus suffisant.

 

PS : Je n’aurai jamais écrits ces mots si la question de Thom et Chimère n’avais pas raisonné a un moment pénible. J’ai succombé au syndrome Cosette (bouh, je suis la plus malheureuse) je m’en excuse. Promis je le referais plus.

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C
Oui elle est très enthousiaste; Dommage pour la côte d'Azur, on est en région parisienne ;-))
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C
En plus de l'intérêt que je prends à venir voir ton blog régulièrement, ce post m'a intéressée car ma fille commence sa formation d'éduc spé cette année ! ben oui il y a des jeunes qui prennent la relève, encore plein d'enthousiasme. Autour de nous on a pas mal d'éduc, et souvent ils changent de domaine quand ils saturent trop... En ce moment elle galère pour trouver son stage de 1ère année GGRR !  Mais sinon elle est ravie de tous les cours :-)
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L
Anne, merci surtout à toi pour ce très toyuchant message :à).<br /> Cathé, elle a raison d'être enthousisate ta fille. manquerais plus que les jeunes soient blaser avant de commencer ;0). Pour le statge, pas de panique, elle trouvera. je ne sais pas de quel côté tu habites mais pour la côte d'azur, je connais des adresses.
A
Je reviens de vacances, je lis donc tout juste ton texte magnifique. Arrivée après 21 commentaires c'est difficile, je ne sais plus quoi ajouter: tout a été dit. Alors je t'écris juste "Merci." Merci de me prouver que j'ai raison de continuer à croire en la nature humaine: il existe encore des gens plein de bonté, tu en es une preuve.
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G
OUI ! Bises
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L
Turquoise, merci beaucoup. Tu as rasion l'auréole, c'est pas pratique. Je vais juste garder le sourire béat. Gaëlle, soulagée?
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